LE SECRET DE L'URAVENA
01/03/2014 13:29
LE SECRET DE L'`URAVENA
Dans les profondeurs des mers du Sud, là où le poids de l'océan interdit même à la lumière de
pénétrer dans les eaux cristallines, vit un poisson mystérieux, un véritable fossile vivant. Les
Polynésiens le connaissent depuis toujours. Ils le nomment `uravena, les scientifiques
Ruvettus pretiosus, un nom qui devient rouvet en français.
Songez à la connaissance de ce peuple pêcheur. Il y a là quelque chose de magique et de
fascinant : `uravena est un poisson qui ne se montre jamais à la surface. Il vit, solitaire ou en
couple, entre 200 et 800 m de profondeur. Mais les anciens savent comment l'attraper et lui
font même l'honneur d'un hameçon spécifique ! Un hameçon composite, en forme de V, taillé
dans le bois de miki-miki. L'arbuste est très courant sur la grève, on le nomme "bois matelot"
aux Antilles. Il savent aussi comment le préparer car s'il n'est pas mortel comme le fugu
japonais la consommation sans précaution de ce poisson huileux vaut de solides ennuis
intestinaux.
Alors, certaines nuits sans lune, le pêcheur déroule une longue ligne depuis son embarcation.
Un galet est attaché à la base de l’hameçon par un lien rudimentaire, une feuille de cocotier,
par exemple. C'est la méthode dite de la plombée détachable ; plusieurs centaines de mètres
plus bas le galet se décroche en touchant le fond. L'hameçon reste alors entre deux eaux, et
leurre le poisson.
Loin au dessus du théâtre des opérations, le pêcheur tient la ligne dans ses mains. Comme un
aveugle qui lit la bible de la pulpe de ses doigts, la moindre tension du fil le renseigne sur ce
qui se passe au fond. Une touche, deux peut-être, et le poisson est ferré, la prise bientôt à
bord, remontée à grandes brassées.
La technique est éprouvée, transmise de génération en génération, à la manière des
apprentissages des gens d'ici. Hommes de peu de mots, les Polynésiens montrent en faisant et
c'est du regard que le fils comprend les gestes du père. Mais le vieux pêcheur rentre seul sur
son île, et les années passent.
Car de nos jours, le poisson-huile n'a pas grande valeur commerciale. Pourtant, il est très
apprécié par les habitants. Quelques rares pêcheurs des Australes n'ont pas perdu ce savoir
ancestral et peuvent encore l'attraper. À Rapa, Manuel Marivi a 76 ans. Il est l'un des derniers
à connaître le secret des `uravena. Un secret qui risque, après lui, de demeurer enfoui au fond
de l'océan.