LE SECRET DE L'URAVENA

LE SECRET DE L'`URAVENA 
Dans les profondeurs des mers du Sud, là où le poids de l'océan interdit même à la lumière de 
pénétrer dans les eaux cristallines, vit un poisson mystérieux, un véritable fossile vivant. Les 
Polynésiens le connaissent depuis toujours. Ils le nomment `uravena, les scientifiques 
Ruvettus pretiosus, un nom qui devient rouvet en français. 
 
Songez à la connaissance de ce peuple pêcheur. Il y a là quelque chose de magique et de 
fascinant : `uravena est un poisson qui ne se montre jamais à la surface. Il vit, solitaire ou en 
couple, entre 200 et 800 m de profondeur. Mais les anciens savent comment l'attraper et lui 
font même l'honneur d'un hameçon spécifique ! Un hameçon composite, en forme de V, taillé 
dans le bois de miki-miki. L'arbuste est très courant sur la grève, on le nomme "bois matelot" 
aux Antilles. Il savent aussi comment le préparer car s'il n'est pas mortel comme le fugu 
japonais la consommation sans précaution de ce poisson huileux vaut de solides ennuis 
intestinaux. 
Alors, certaines nuits sans lune, le pêcheur déroule une longue ligne depuis son embarcation. 
Un galet est attaché à la base de l’hameçon par un lien rudimentaire, une feuille de cocotier, 
par exemple. C'est la méthode dite de la plombée détachable ; plusieurs centaines de mètres 
plus bas le galet se décroche en touchant le fond. L'hameçon reste alors entre deux eaux, et 
leurre le poisson. 
Loin au dessus du théâtre des opérations, le pêcheur tient la ligne dans ses mains. Comme un 
aveugle qui lit la bible de la pulpe de ses doigts, la moindre tension du fil le renseigne sur ce 
qui se passe au fond. Une touche, deux peut-être, et le poisson est ferré, la prise bientôt à 
bord, remontée à grandes brassées. 
La technique est éprouvée, transmise de génération en génération, à la manière des 
apprentissages des gens d'ici. Hommes de peu de mots, les Polynésiens montrent en faisant et 
c'est du regard que le fils comprend les gestes du père. Mais le vieux pêcheur rentre seul sur 
son île, et les années passent. 
Car de nos jours, le poisson-huile n'a pas grande valeur commerciale. Pourtant, il est très 
apprécié par les habitants. Quelques rares pêcheurs des Australes n'ont pas perdu ce savoir 
ancestral et peuvent encore l'attraper. À Rapa, Manuel Marivi a 76 ans. Il est l'un des derniers 
à connaître le secret des `uravena. Un secret qui risque, après lui, de demeurer enfoui au fond 
de l'océan.